Nous n'avons passé que deux nuits à Kyôto; alors, nous ne pouvions pas tout voir.
Nous avons choisi notamment de revisiter les temples célèbres de l'est de Kyôto. Je les avais tous vus (ou presque), mais c'est avec un réel plaisir - et en dépit des averses - que je suis retournée sur ces lieux enchanteurs.
Depuis la gare près de laquelle nous logions, nous avons pris un bus qui nous a menés près du Ginkaku-ji (temple du Pavillon d'Argent), classé à l'Unesco. Il a été bâti en 1482 pour servir de villa au shôgun Ashikaga Yoshimasa pour sa retraite. Il a été transformé en temple zen à sa mort en 1490. Son jardin est un bel exemple de "karesansui" (jardin sec ou de pierres).
Le pavillon, dont le réel nom est le Kannon-den (Hall de Kannon, bodhisattva de la compassion), comporte deux niveaux et contient - donc - une statue de Kannon. Cependant, l'édifice n'est pas ouvert au public.
Mais, au fait, d'où vient son nom puisqu'il n'est pas recouvert d'argent ? Plusieurs théories à ce sujet. L'une dit que les travaux ont été interrompus avant la fin. Une autre croit qu'il a été surnommé ainsi un siècle plus tard d'après le Kinkaku-ji (le temple du Pavillon d'Or) édifié par son grand-père. Enfin, la dernière - et la plus poétique, à mon avis - explique que son nom vient des nuances argentées que le bâtiment prenait la nuit lorsque la lune se reflétait sur ses murs sombres (à l'époque couverts de laque noire). Ah, l'esprit japonais...
Ce pavillon est l'un des deux seuls édifices qui n'a été touché ni par les incendies ni par les séismes. Bien sûr, il est rénové régulièrement.
Ce temple est particulièrement célèbre un jardin de pierres et de sable. Le contraste entre les vagues, la "Mer de Sable d'Argent", et le Mt Fuji qui se détache est saisissant.
Après avoir dépassé le Togudo, l'autre édifice qui date du 15ème siècle, qui n'est généralement pas ouvert au public non plus; on arrive dans le jardin de mousse du Ginkaku-ji. Le chemin nous fait traverser des petits ponts, des étangs et nous fait grimper une petite colline qui donne une jolie vue sur le pavillon.
En sortant du temple, nous avons pris le "Chemin de la philosophie".
Il suit un petit canal sur deux kilomètres que bordent des centaines de cerisiers. Evidemment, début février, ça manque un peu de couleurs... Ce chemin tire son nom de Nishida Kitaro (1870-1945), l'un des plus célèbres philosophes du Japon, dont on dit qu'il avait l'habitude de pratiquer la méditation sur ce chemin en se rendant à l'université de Kyôto.
Nous nous sommes arrêtés un instant dans l'un des sanctuaires près du chemin, celui de Otoyo. Son originalité ? Deux statues de souris jouent le rôle de gardiens. Celle de gauche tient un bol de "sake"; l'autre un parchemin. On dit qu'elles apportent santé, longue vie et bonheur.
Nous avons poursuivi notre route et sommes arrivés au temple "Eikan-dô".
A l'origine, il s'agissait d'une villa qu'un noble de la cour de la période d'Heian (710-1185) a offerte à un moine qui l'a convertie plus tard en temple, lui donnant le nom de "Zenrin-ji" (temple du Bosquet Calme).
Au 11ème siècle, le Zenri-ji avait à sa tête un moine très populaire, Eikan, dont a été tiré le surnom de ce temple (le Hall Eikan). C'est à Eikan que ce temple doit l'acquisition d'un objet de culte rare : une statue du Bouddha Amida. Mais pas n'importe laquelle.
Selon la légende, Eikan marchait dans le temple lorsque la statue, qui regardait droit devant elle, a tourné la tête vers le moine et lui a parlé. Depuis lors, selon l'histoire, cette statue serait restée dans cette position. Ce Bouddha Amida est désormais connu comme celui regardant par-dessus son épaule. On ne peut pas prendre de photo à l'intérieur.
Nous avons terminé avec la visite du Nanzen-ji (temple Zen du Sud). C'est l'un des cinq grands temples zen de Kyôto et il est également classé à l'Unesco.
L'histoire de cet édifice remonte au 13ème siècle lorsque l'empereur Kameyama fit de cette villa un temple zen (il n'était pas inhabituel à cette époque-là de voir d'anciens empereurs devenir moines). Les bâtiments originaux ont été détruits trois fois par des incendies : en 1394, 1448 et 1467. Le temple actuel date de l'époque Momoyama (1570-1600).
On entre dans le temple par une immense porte, Sanmon, construite en 1628.
Ensuite, on pénètre dans la partie payante avec le Hojo, le hall principal du Nanzen-ji et la résidence dans l'ancien moine en chef.
Il est connu pour les peintures de tigres en feuilles d'or sur ses "fusuma" (portes coulissantes).
Il est également célèbre pour son beau jardin sec dont on dit que les grosses pierres représentent de jeunes tigres traversant l'eau. C'est un bon exemple des jardins dessinés au début de l'époque d'Edo, en 1600, puisque les arbres et pierres sont tous rassemblés dans l'un de ses coins.
Ce jardin est également un exemple de "shakkei" (paysage emprunté); c'est-à-dire que l'on utilise des éléments distants (naturels comme des montagnes) et on les inclut dans la composition du jardin pour lui donner une impression de dimensions infinies. Dans le cas du Nanzen-ji, c'est le mont Yokakuryo Dainichi que l'on voit au dernier plan.
Pour terminer cette journée (même si en fait, c'était un autre soir), nous avons fini par une dernière visite : le Kiyomizu-dera (temple de l'Eau Pure), classé à l'Unesco. Incontournable de Kyôto et unique en son genre.
Les ruelles autour sont des plus touristiques avec des centaines de jolies boutiques de souvenirs (même si on déteste le shopping, on ne peut pas résister à l'attrait des magasins japonais).
Grosse déception à l'arrivée : le Kiyomizu-dera était en pleine rénovation; la partie principale était photographiable, heureusement. En fait, nous avons vu beaucoup de chantiers à Kyôto cette fois-ci. Mon copain soupçonne les autorités japonaises de le faire exprès pour gâcher les vacances des touristes chinois - très nombreux à cette période puisque c'était le Nouvel An chinois. Je suppose que la préservation des édifices en bois demande un soin particulier et l'hiver est quand même la saison la moins touristique, donc je ne pense pas que le Japon soit si malintentionné. Toutefois, les relations diplomatiques ne sont pas au beau fixe entre les deux puissances; alors ça n'est peut-être pas si absurbe. D'autant que je me demande ce que pensent les Japonais des touristes chinois qui parlent fort et ont du mal à respecter les règles. Cela dit, quoi que peuvent penser les Japonais, les touristes chinois sont importants sur le plan économique - tout comme en France, d'ailleurs. J'ai vu un reportage aux informations japonaises qui expliquait que les touristes chinois qui voyagent au Japon dépensent des sommes astronomiques, notamment en produits électroniques et cosmétiques. Ils ont même montré l'exemple d'un Chinois qui a dépensé plus de 300 000 yens (plus de 2000 euros) dans un un même magasin : il avait acheté deux autocuiseurs de riz et plein d'autres articles en double ou triple (pour ses amis ou sa famille sans doute). Ici, en Chine, personne n'a confiance en rien. Ainsi, les Chinois riches achètent beaucoup de produits à Hong-Kong ou lorsqu'ils voyagent à l'étranger. Même mes étudiantes achètent de la nourriture ou des produits cosmétiques à Hong-Kong. Quand aux Chinois qui n'ont pas les moyens... c'est une autre histoire. En attendant, les touristes chinois remplissent bien les poches des pays étrangers.
Le Kiyomizu-dera, fondé en 780, tient son nom de la chute d'eau qui se trouve à l'intérieur de son enceinte.
D'ailleurs, en contrebas du bâtiment principal se trouve cette chute dont l'eau - divisée en trois petits ruisseaux- aurait des propriétés thérapeutiques. Il est dit que chaque ruisseau possède une vertu particulière : l'un pour la santé, l'autre pour la longévité et le dernier pour le succès dans les études. Toutefois, boire à ces trois ruisseaux serait considéré comme un signe d'avidité... Faites donc le bon choix...
Le Kiyomizu-dera est surtout célèbre pour sa plateforme, soutenue par des centaines de piliers sans aucun clou, à flanc de colline et qui donne une vue impressionnante de Kyoto.
Nous avons terminé notre journée avec un détour par le quartier de Gion.
C'est un nom qui n'est pas inconnu des occidentaux qui y voyaient (y voient encore ?) un monde de fantasmes puisque c'est l'un des quartiers de Kyôto où travaillent encore les fameuses "geisha". Il faut savoir qu'à Kyôto, on ne dit pas "geisha" mais "geiko"- et "maiko" (pour les apprenties). Une "geiko" signifie une "personne d'arts", autrement dit une artiste. Aussi, lorsque les occidentaux imaginent des sortes de "prostituées de luxe", ils sont à côté de la plaque. Les geiko sont des artistes accomplies qui maîtrisent à la perfection les différents arts japonais. Une geiko a pour fonction de divertir des clients par ses arts et sa conversation. Il n'est pas attendu autre chose d'une geiko. Mais, c'est vrai que ce n'est pas si simple; en tout cas, les choses étaient un peu plus floues dans le passé avec, par exemple, le passage à l'âge adulte d'une maiko - lorsqu'elle devait perdre sa virginité avec un homme qui avait gagné les enchères sur cet "événement". Cette pratique est devenue illégale après 1959. Aujourd'hui, les geiko sont plus protégées par la loi et libres dans leur vie privée.
Comme je l'expliquais, les geiko sont formées pour divertir les clients lors de banquets, dîners et autres occasions. En général, ces dîners se déroulent dans une "ochaya" (maison de thé) qui fournit juste une salle avec tatami : la nourriture et les services d'une geiko sont réservés exprès en fonction du client. Les ochaya sont des lieux exclusifs et n'ouvrent leur porte qu'aux clients qu'elles connaissent.
A la différence d'un restaurant, il n'y a pas d'addition à la fin du repas. En fait, toutes les dépenses de la soirée (la salle, la nourriture, les prestations de la geiko, le taxi...) sont ajoutées à la note totale du client qui est prélevée sur son compte à la fin du mois. Il s'agit là, à l'évidence, d'un système basé sur la confiance, c'est pourquoi on ne peut entrer dans ce monde clos que si l'on connaît quelqu'un qui est déjà client et peut être votre garant.
Pendant un dîner, les geiko et maiko divertissent les invités. Elles sont chargées d'entretenir une conversation spirituelle tout en remplissant les verres. Elles organisent aussi toutes sortes de jeux où le perdant a souvent pour punition de vider son verre.
Le moment le plus important (bien qu'à mon avis, les invités soient trop ivres pour vraiment apprécier...), c'est lorsqu'elles dansent accompagnées par de la musique traditionnelle, généralement du shamisen (instrument à cordes) joué par une autre geiko. Le nombre de geiko et maiko varie selon le nombre d'invités et ... le budget de l'hôte.
Mon copain et moi avons parcouru avec plaisir les ruelles de Gion avec le secret espoir d'apercevoir une maiko ou geiko se rendant dans une ochaya, mais en vain. Peut-être connaissent-elles des passages secrets pour éviter les touristes qui jouent aux paparazzis ? Nous observions le manège des taxis qui déposaient régulièrement des directeurs ou présidents de société devant différentes ochaya. En tout cas, c'est qu'on peut imaginer puisqu'il faut débourser plusieurs milliers de yens pour ce genre de soirée; ce qui n'est pas à la portée de tout le monde.
Les ochaya sont vraiment très discrètes : pas de carte ou de menu, pas même d'enseigne. A vrai dire, elles ressemblent à de simples entrées de résidences - élégantes résidences, tout de même. On comprend bien que ce monde n'est pas ouvert au passant. Ainsi, même si nous n'avons pas entrevu le visage poudré d'une maiko, notre petite promenade était charmante.